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       L'aube est moins claire

     

    Poète : Victor Hugo (1802-1885)

     

    Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893).

     

    L'aube est moins claire, l'air moins chaud, le ciel moins pur ; 

    Le soir brumeux ternit les astres de l'azur. 

    Les longs jours sont passés ; les mois charmants finissent. 

    Hélas ! voici déjà les arbres qui jaunissent ! 

    Comme le temps s'en va d'un pas précipité ! 

    Il semble que nos yeux, qu'éblouissait l'été, 

    Ont à peine eu le temps de voir les feuilles vertes.

     

    Pour qui vit comme moi les fenêtres ouvertes, 

    L'automne est triste avec sa bise et son brouillard, 

    Et l'été qui s'enfuit est un ami qui part. 

    Adieu, dit cette voix qui dans notre âme pleure, 

    Adieu, ciel bleu ! beau ciel qu'un souffle tiède effleure ! 

    Voluptés du grand air, bruit d'ailes dans les bois, 

    Promenades, ravins pleins de lointaines voix, 

    Fleurs, bonheur innocent des âmes apaisées, 

    Adieu, rayonnements ! aubes ! chansons ! rosées !

     

    Puis tout bas on ajoute : ô jours bénis et doux ! 

    Hélas ! vous reviendrez ! me retrouverez-vous ?

     

    Victor Hugo.

     

     

     

    Lettre (I)

     

    Poète : Victor Hugo (1802-1885)

     

    Recueil : Toute la lyre (1888 et 1893).

     

    La Champagne est fort laide où je suis ; mais qu'importe, 

    J'ai de l'air, un peu d'herbe, une vigne à ma porte ; 

    D'ailleurs, je ne suis pas ici pour bien longtemps. 

    N'ayant pas mes petits près de moi, je prétends 

    Avoir droit à la fuite, et j'y songe à toute heure. 

    Et tous les jours je veux partir, et je demeure. 

    L'homme est ainsi. Parfois tout s'efface à mes yeux 

    Sous la mauvaise humeur du nuage ennuyeux ; 

    Il pleut ; triste pays. Moins de blé que d'ivraie. 

    Bientôt j'irai chercher la solitude vraie, 

    Où sont les fiers écueils, sombres, jamais vaincus, 

    La mer. En attendant, comme Horace à Fuscus, 

    Je t'envoie, ami cher, les paroles civiles 

    Que doit l'hôte des champs à l'habitant des villes ; 

    Tu songes au milieu des tumultes hagards ; 

    Et je salue avec toutes sortes d'égards, 

    Moi qui vois les fourmis, toi qui vois les pygmées.

     

    Parce que vous avez la forge aux renommées, 

    Aux vacarmes, aux faits tapageurs et soudains, 

    Ne croyez pas qu'à Bray-sur-Marne, ô citadins, 

    On soit des paysans au point d'être des brutes ; 

    Non, on danse, on se cherche au bois, on fait des chutes ; 

    On s'aime ; on est toujours Estelle et Némorin ; 

    Simone et Gros Thomas sautent au tambourin ; 

    Et les grands vieux parents grondent quand le dimanche 

    Les filles vont tirer les garçons par la manche ; 

    Le presbytère est là qui garde le troupeau ; 

    Parfois j'entre à l'église et j'ôte mon chapeau 

    Quand monsieur le curé foudroie en pleine chaire 

    L'idylle d'un bouvier avec une vachère. 

    Mais je suis indulgent plus que lui le ciel bleu, 

    Diable ! et le doux. printemps, tout cela trouble un peu ; 

    Et les petits oiseaux, quel détestable exemple ! 

    Le jeune mois de mai, c'est toujours le vieux temple 

    Où, doucement raillés par les merles siffleurs, 

    Les gens qui s'aiment vont s'adorer dans les fleurs ; 

    Jadis c'était Phyllis, aujourd'hui c'est Javotte, 

    Mais c'est toujours la femme au mois de mai dévote. 

    Moi, je suis spectateur, et je pardonne ; ayant 

    L'âme très débonnaire et l'air très effrayant ; 

    Car j'inquiète fort le village. On me nomme 

    Le sorcier; on m'évite ; ils disent : C'est un homme 

    Qu'on entend parler haut dans sa chambre, le soir. 

    Or on ne parle seul qu'avec quelqu'un de noir. 

    C'est pourquoi je fais peur. La maison que j'habite, 

    Grotte dont j'ai fait. choix pour être cénobite, 

    C'est l'auberge ; on y boit dans la salle d'en bas ; 

    Les filles du pays viennent, ôtent leurs bas, 

    Et salissent leurs pieds dans la mare voisine. 

    La soupe aux choux, c'est là toute notre cuisine ; 

    Un lit et quatre murs, c'est là tout mon logis. 

    Je vis ; les champs le soir sont largement rougis ; 

    L'espace est, le matin, confusément sonore ; 

    L'angélus se répand dans le ciel dès l'aurore, 

    Et j'ai le bercement des cloches en dormant. 

    Poésie : un roulier avec un jurement ; 

    Des poules becquetant un vieux mur en décombre ; 

    De lointains aboiements dialoguant dans l'ombre ; 

    Parfois un vol d'oiseaux sauvages émigrant. 

    C'est petit, car c'est laid, et le beau seul est grand. 

    Cette campagne où l'aube à regret semble naître, 

    M'offre à perte de, vue au loin sous ma fenêtre 

    Rien, la route, un sol âpre, usé, morne, inclément. 

    Quelques arbres sont là ; j'écoute vaguement 

    Les conversations du vent avec les branches ; 

    La plaine brune alterne avec les plaines blanches ; 

    Pas un coteau, des prés maigres, peu de gazon ; 

    Et j'ai pour tout plaisir de voir à l'horizon 

    Un groupe de toits bas d'où sort une fumée, 

    Le paysage étant plat comme Mérimée.

     

    Victor Hugo.

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